Diplomatie secrète

1945

N'est-ce pas la délégation russe, qui, à la conférence de San Francisco, a déposé une motion contre la diplomatie secrète ? Et pourtant combien sont secrètes les réunions de Potsdam auxquelles participe le maréchal Staline.

Contre ce mystère, les journaux anglais et américains ont protesté. Verrons-nous semblable protestation dans la Pravda et les Isvetzia ? J'ai sans doute mauvais esprit, car j'en doute. Décidément, avec la Russie tout est bien mystérieux.  Pourquoi nos prisonniers, dont un bon nombre de milliers est encore sur son territoire, ne rentrent-ils pas ? L'âme slave est pleine de détours, je le sais bien, mais on aimerait y voir un peu plus clair.

Ainsi à Potsdam le sort du monde se joue derrière un épais rideau de silence. Aucun écho... Les peuples dont l'avenir dépend de ces consultations attendent dans une anxiété qui par moments confine à l'angoisse. Nos intérêts, et des intérêts vitaux seront-ils ménagés ? Qui en aura cure ?

C'est que diplomatiquement nous sommes terriblement isolés. Autrefois, toute une clientèle gravitait autour de nous. La conférence de San-Francisco aura eu au moins cet intérêt de mettre en lumière les divers jeux diplomatiques, à montrer clairement que cette clientèle était désormais rattachée à d'autres puissances.

Nous ne représentons plus que nous-mêmes, c'est-à-dire un état faible et désarmé. Il faudrait donc, puisque nous traversons un période d'hégémonie des grandes puissances, que nous ayons suffisamment lié nos intérêts à l'un des Trois Grands, pour que, défendre les siens soit aussi défendre les nôtres. Or, il n'en est pas ainsi, nous ne sommes liés politiquement à aucun de ces Grands. Sans doute existe-t-il le pacte de Moscou avec la Russie mais outre que son objet est très limité, il faut reconnaître que l'URSS ne semble pas y attacher autant d'importance que nous. Sans cela eut-elle fait obstacle à ce que nous participions aux conversations de Yalta ? à ce que nous soyons puissante agissante à San-Francisco ?

Peut-être eût-elle voulu pour nous soutenir que nous attachât à elle une alliance plus exclusive. Mais cela nous ne le pouvions pas. Le pacte de Moscou a déjà éveillé la méfiance des Anglo-Saxons. Qu'eût fait une alliance exclusive ? Du même coup nous nous privions de tous et de tout approvisionnement américain. Or, ces approvisionnements nous ne pouvions pas nous en passer.  Nous ne nous relèverons pas sans eux de nos ruines et la Russie sur ce point ne peut être d'aucun secours.

Il fallait donc nous rapprocher étroitement d'un autre des Grands. Malheureusement nous avons trop en France la manie de la politique de bascule. Depuis Talleyrand nous en sommes saturés. Bien des réserves d'ordre moral sont à faire sur cette politique. Toute politique de bascule suppose qu'on dispose d'une force telle qu'en se déplaçant on entraîne le fléau de la balance. En nous déplaçant nous n'entraînons rien que nous-mêmes, nous nous compromettons gratuitement.

La vérité est que nous n'avons pas su prendre parti à temps. Retard dont les conséquences peuvent être très graves. Si on devait en analyser les causes, on trouverait celle qui est à l'origine de toutes nos erreurs diplomatiques : l'intrusion de la politique intérieure. Nous n'avons pas su avoir sur les problèmes extérieurs l'unanimité qui eût permis à un gouvernement de large concentration nationale comme le nôtre de prendre parti. Or, dans une période d'extrême acuité diplomatique, telle que nous en vivons une, il faut savoir ne pas laisser passer l'heure de prendre parti.